DéMARCHE ARTISITIQUE (F)
L’émail céramique est ce revêtement vitreux qui couvre le corps (qu’on nomme tesson) d’une céramique. Le néophyte le compare souvent avec une sorte de peinture ou de couleur céramique mais l’émail est bien différent de ça. L’émail est une poudre que je compose et créé à partir de minéraux pour l’apposer en aveugle, c’est à dire sans pouvoir vraiment présager (en tout cas pas comme un dessin) du résultat final qui est une matière toujours nouvelle: l’émail. Je cuis celui-ci à haute température (1300°C) et le plus souvent dans un four à gaz . C’est la chaleur et l’atmosphère du four qui révèleront toute la richesse de la matière de l’émail.
Ma pratique de l’émail céramique est marquée par l’incertitude et la difficulté de sa connaissance et de sa maîtrise. Les paramètres qui influent sur l’aspect et la qualité d’un émail sont nombreux, complexes et jamais totalement maîtrisables: la recette, l’origine et la qualité des minéraux utilisés, le tesson, la forme de la pièce, le four, la disposition des pièces à l’intérieur, la température atteinte, l’atmosphère du four, le comburant utilisé, le temps qu’il fait à l’extérieur, les erreurs humaines…. C’est véritablement difficile, voire ingrat. Un temps j’ai cru que mon role était justement de le dompter mais l’émail a toujours été plus fort que moi et j’essaye désormais de ne devenir que l’expert de mes propres difficultés à contrôler mes outils.
Jean Girel, Maître d’art, avec qui j’ai fait mon apprentissage, m’a dit un jour qu’il ne devrait pas y avoir d’essai en émail ou que tout essai devrait chaque fois être pensé comme une pièce finie. Quand j’ai enfin saisi ce qui paraissait une gageure, j’ai compris que la richesse de l’émail résidait justement dans ce qu’on n’en savait pas encore, de la surprise, de l’accident. Et ils sont nombreux! Ces surprises de l’émail sont un défi à l’entendement du scientifique et à la pratique de l’artisan mais pour moi c’est comme émerveillement et choc esthétique que je les poursuis: ces surprises ont le pouvoir de me toucher et de m’émouvoir.
Ma pratique artistique de l’émail n’aspire pas à la maîtrise ou à la domination. Je n’ai pas ces ambitions et je ne souhaite pas devenir un “potier jaloux” comme l’a décrit Claude Lévi-Strauss. Je souhaite me couler dans l’émail, développer une relation amicale avec le chaos et risquer cette confiance faite au hasard et à l’aléatoire.
Cette pratique n’est pas une science ni même tout à fait un artisanat. Elle est au mieux de l’ordre de l’intimité. Elle est émotion, et je l’espère sensualité et poésie.
Au travers mes œuvres, je tente de bousculer la hiérarchie « hylo-morphique » qui privilégie la forme sur la matière et mes formes sont au mieux des prétextes, voire des non-formes comme le seraient châssis et toile d’un tableau. Mes œuvres souhaitent susciter une forme de contemplation esthétique, sensible, sensuelle et émotionnelle de la matière de l’émail.
Parfois aussi la poésie m’ennuie: je me joue des supports et je les souhaite déroutants, impertinents. Mes œuvres alors se rient d’elles-mêmes et de leur ambitions heureusement impossibles, maintenant à distance toute forme de pose poétique. Elles deviennent jeu et aspirent à une forme de révolte.
…et dans l’irrespect, l’indiscipline et la provocation, l’émail retrouve son véritable être poétique.
Haine et amour de l’émail.